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février 2010
La "Bouffe"
Pourquoi
je ne mange pas ? Ce n’est pas par souci esthétique, ce n'est
pas une histoire de régime bidule chouette. Ce qui m'empêche de
manger c'est la peur d'être contaminé par la dégénérescence de
ce Monde. Je sais, c'est complètement irrationnel. Je vous
préviens, il s'agit ici de ma subjectivité.
J'aime
la nourriture, la vraie. Celle qui pousse dans de la vraie terre et
que l'on doit chasser et parfois se blesser pour la capturer et la
manger. La tomate du jardin fait partie de cette nourriture vraie.
J'aime la sensation de la peau lisse et rouge qui cède sous le
tranchant des incisives et des canines. Le jus se répand dans la
bouche, sous la langue comme de l’eau parfumée à la Terre. Un peu
acide et acre, parfois sucré. La chair est ferme et lisse contre la
langue, quand elle arrive sous les molaires, elle lâche encore du
jus, cette fois-ci, mélangé à des petits bouts de chair broyée et
spongieuse. Mâche, mâche, le goût se répand dans la bouche, le
jus enveloppe la langue, des petits bouts de chair se coince entre
votre joue et votre gencive au niveau des molaires, des petits bouts
de peau lisse se collent à vos incisives et à vos canines.
Jusque-là
tout va bien. Mais lorsque je lève les yeux de mon plant de tomate
et que je vois le rapport à la bouffe des autres... Je panique,
m'angoisse et je deviens incapable de m'alimenter.
Il
y a trop de gens qui me font flipper lorsque je les regarde manger.
D'abord ce qu'ils mangent me fait flipper : à savoir des tas de
trucs suintant d'huile, de sucre raffiné, de sel et contaminés à
toutes sortes de produits chimiques et antibiotiques... Toute la bouffe qui vient de l'industrie me fait
flipper, j'imagine les pauvres volailles élevées en batterie, comme
des objets, complètement dégénérées à force de tri génétique,
de médocs en tout genre et de mauvais traitements pour finir en
nuggets que des parents vont donner à manger à leurs gosses, c'est
une vision d'épouvante illustrant la dégénérescence qui a tout
envahi ! Le bœuf, le porc et tout les autres... J'en ai des
sueurs froides rien que d'imaginer le cocktail de souffrance, de
radicaux libres, de produits chimiques et de saloperies en tout genre
contenues dans un seul nugget. Les gens ne sont pas débiles au point
de l'ignorer. Il suffit de connecter deux neurones pour faire ce
constat, puis faire une petite recherche sur le net pour voir sa
réflexion validée par les faits. Et c'est le point qui précisément
me fait flipper, les gens le savent, mais ils s'en foutent. Ça ne va
pas plus loin que ça.
Quand
j'étais gosse, je jouais dans le poulailler de ma mémé. Ses poules
étaient grosses, rousses, j'adorais leur courir après. Le dimanche,
ma mémé en choppait une, elle mettait ses deux pieds sur chaque
aile du volatile, une assiette sous son cou et elle l'égorgeait.
J'ai l'image des canards décapités dont les pattes continuaient de
bouger encore sous l'effet d'un ordre donné par le cerveau :
fuir. Puis elle les ébouillantaient et ma mère et mes tantes les
plumaient, parfois en nous obligeant à participer. Ensuite on les
faisait cuire pour les manger. J'ai eu la chance de savoir que la
viande provient d'un être vivant. Qu'il faut l'attraper et le tuer
pour le manger. Je suis effaré car nombre de gosses l'ignorent et
ils se permettent de jeter leurs nuggets comme des jouets sous les
yeux admiratifs de leurs crétins de parents. Si ce n'était que
ça... J'ai sais aussi comment sont élevés les êtres vivants avec
lesquels ont fait des nuggets. D'ailleurs, ils ne sont pas élevés.
Ils sont « produits », tout est dit.
Il faut que la nourriture soit facile d’accès
et molle, qu’elle suscite le moins d’effort en mastication
possible et que son goût soit neutralisé. Neutralisé comme dans
neutre. Les seules saveurs plébiscitées, sont celles qui nous
rendent dépendants et assurent le renouvellement de notre
consommation: le sucre et le salé.
Rassurez-vous,
je ne vous fais pas un trip politico-bio correct. Je m’en tape de
tout ça. Je vous dis simplement pourquoi je ne mange pas.
Quand
je regarde ces gens manger un hamburger en trois bouchées je suis
littéralement scotché par le dégoût. Incapable de m’alimenter…
C’est répugnant. Le hamburger et l’aliment de dégénéré par
excellence. Mou, sucré et gras. Nos mâchoires deviennent de plus en
plus petites et fragiles, nous ne mangeons plus que de « la
bouffe » : accessible sans le moindre effort, facile à
mâcher et à avaler.
Les
gens qui disent ne pas aimer les poissons à cause des arrêtes me
font flipper. Ils veulent pouvoir engloutir vite, sans faire l'effort
de mâcher doucement. J'ai même entendu d'autres me dire qu'ils
n'aiment manger que les filets de viande car ils n'aiment pas qu'il y
ait des os, des veines, bref, toutes traces de vie... Ils veulent
manger un produit et qu'on ne viennent par leur dire que ce produit
est issu d'un être vivant. Et que devient le reste ? Les
parties trop dures, avec trop d'os de veines et de peau ? La
masse dégénérée s'en moque. Ça peut bien finir à la poubelle,
ce n'est pas leur problème. Les gens me font flipper.
Ils
n’imaginent même pas que ce comportement qu’ils appellent leurs
« préférences », ou leur « goût » est en
fait l’expression de leur dégénérescence. Et ils rigolent
bêtement lorsque vous leur dites que la mâchoire humaine est aussi
faite pour arracher de la viande crue à un os et mastiquer des
racines. On est civilisé, moderne aujourd’hui… De mon point de
vu ? Dégénéré.
Un
fruit c’est chiant à manger. Il faut croquer dedans. Si c’est
une pomme, il faut la mastiquer pour pouvoir l’avaler. C’est
granuleux, tout en substance. C’est souvent plus acide que sucré.
Voilà pourquoi les dégénérés de la bouffe accros au mou, au
sucre et au gras préfèrent de loin un bon pot de glace, un soda où
une énième pâtisserie bien ruisselante de beurre. Si ça n'était
qu'occasionnel... Mais cela se répète trop souvent tout au long de
la journée, accompagné de chips et de toutes les autres saloperies
que notre bonne société nous donnent à manger dans des emballages
criards pour bien capter notre attention.
Mon
corps est vide, parfaitement propre de toutes ces saloperies pleines
de mayonnaise et de produit chimiques. Et vous êtes là, avec vos
corps déformés au point parfois de vous faire ressembler à des
bébés géants potelés et mous… Vous me jugez. Vous me dites que
je dois manger… Mais je ne veux pas vous ressembler.
Je
suis moi-même dégénéré par ce Monde. Je devrais parcourir la
Terre, user mon corps dans la quête de la nourriture, du territoire
comme le font les autres animaux. Mais je suis né au sein de cette
espèce damnée. J’ai parfois l’impression que l’animal que
j’ai été prend trop de place dans ma tête et je n’arrive pas à
y entrer tous ces trucs d’humains. Comme les leçons que je me tue
à apprendre par cœur pour les recracher en examens. Il n’y a de
la place que pour une seule chose dans ma tête : je veux que
mon cœur batte la chamade comme un fou. Je veux fonctionner à
l’adrénaline. Où trouver l’adrénaline dans ce Monde ? Les
études m’emmerdent. Les gens me font flipper, tout est payant.
Tout est bloqué par des formulaires, des papiers, des routes,
des chiffres… Je voudrais être un animal. Je serai pur et
j’ignorerai tous les vices qu’entraîne l’intelligence.
Et
je n’aurai pas à rester enfermé pendant des heures dans ma
chambre, à me perdre dans mon Univers… Parce que la Réalité
m’emmerde.
Je
suis conscient que mon corps est fait pour parcourir des kilomètres
de marche. Pour transpirer, construire, se défendre, aimer, agresser
et crever. Mais courir n’a aucun sens dans ce monde-ci. Il y a des
barrières partout, on est comme un hamster dans sa roue… La pierre
est payante, je ne peux pas m’en payer pour construire. Une entité
de papiers, de bureaux, de délais, de démarches a le monopole de
l’auto-défense. On n’aime plus, on consomme. Un type appui sur
un bouton et rase une ville entière. Et quand vous crevez, vu qu’on
est 7 milliards, tout le monde s’en fout.
Je
ne peux pas courir, construire, me défendre par moi-même, aimer,
agresser qui je veux en revanche, je peux crever comme je le veux.
C’est ce qu’il me reste de pur et d’innocent.
C’est
pour ça que je voudrais être un animal. Sans intelligence, sans
vices. Les animaux vont au Paradis. Pas les humains.
Quand
je vois les requins que l’on pêche juste pour leur couper les
ailerons et qu’on rejette à la mer encore vivants, je fonds en
larmes devant la télé. Je deviens un requin sans ailerons et je
vais crever comme ça. Je meurs à l’intérieur de moi-même. Trop
peu de gens pleurent à cette pensée et je les hais pour ça, d’être
si insensibles et si peu concernés… De me regarder avec cette
expression genre « gamin hyper émotif attardé en vue ! ». Le
monde m'effraie.
Le
Monde me trouve pathétique, pitoyable et insignifiant. Je lui rends
la pareille, je le trouve dégénéré.
Les
condors en fin de vie, fatigués et de plus en plus faibles, ne
trouvent pas de sens à continuer de vivre. Ils volent le plus haut
possible. Jusqu’à ce que l’air se raréfie, le froid se glisse
entre leurs plumes, engourdit leurs ailes épuisées, mais ils
continuent de voler, le plus haut possible, jusqu’à ce que leur
corps ait atteint le point de non retour. Et ils continuent encore à
monter. Que vont-ils voir là-haut ? Le Monde. Ils vous voir le
Monde. Et ils se laissent tomber.
Je
veux être un animal. Je veux être une baleine, un requin, un
condor. Et je veux prendre mon dernier envol.